FAST SEX

Jean-Benoît DUMONTEIX
man in gray polo shirt

Pourquoi est-ce que je travaille sur l’addiction sexuelle ?

Je vous raconte cette histoire…

En 2009, lorsque j’ai été accepté dans le Diplôme d’Enseignement Supérieur Universitaire à Paris 8 Vincennes Saint-Denis (DESU Prise en charge des addictions), j’ai dû, comme tous les étudiants, trouver une thématique pour mon travail de recherche et de mémoire de fin d’année.

Que choisir ? L’alcoolisme ? Trop rebattu. Les opioïdes ? Bof…

Alors que mes camarades s’emparaient de sujets comme “les usagers injecteurs”, “la cocaïne en milieu festif” ou “l’alcoolisme chez les femmes” (sujets absolument passionnants soit dit en passant mais déjà discutés maintes fois), j’observais chez certaines personnes de mon entourage un comportement sexuel atypique, qui me questionnait. Ils étaient tout le temps sur des sites, et réglaient leur vie sociale en fonction de leur vie sexuelle, quitte à s’isoler ou à entrer en conflit avec leurs amis.

L’idée selon laquelle la sexualité pourrait elle aussi être addictive m’est apparue comme un bon sujet de mémoire, mais c’était encore trop flou. 

Alors j’ai décidé de parler des pratiques sexuelles bareback (sans protection) dans le milieu gay parisien, au risque de choquer et de risquer mon diplôme.

Pour la problématique, j’ai posé la question suivante : se pouvait-il, alors que le préservatif était la norme imposée par la société et le corps médical, que certaines personnes développent une addiction à la sexualité bareback et aux sensations que cela offre ?

J’ai aussi choisi un panel de participants bien délimité: les 30-50 ans. Pourquoi ? Parce que les 50 ans avaient connu l’épidémie de SIDA, le pronostic vital engagé, la mort des proches, qui tombaient comme des mouches, puis l’espoir avec l’arrivée des trithérapies, alors que les trentenaires, eux, avaient toujours connu les trithérapies et le VIH comme une maladie chronique. Certes, ils avaient grandi dans une société où on répétait qu’il fallait “se protéger” mais de quoi ? Le SIDA n’avait plus vraiment de réalité visible…

Leurs pratiques du sexe sans protection contenaient-elles les mêmes effets, les mêmes enjeux inconscients et donc la même potentialité addictogène ? Il me fallait les interviewer et comparer les résultats.

Ce travail m’a permis de lire les maîtres américains en matière d’addiction sexuelle — le Dr Carnes en est le précurseur — et de me rendre compte qu’en France, nous étions vraiment à la traîne ! Environ 10% de la population semblait encline à développer une addiction sexuelle sévère, et personne n’en parlait ! Pire : lorsque je m’ouvrais de mon sujet de recherche à des personnalités influentes du milieu gay, on me rétorquait que ça n’existait pas ! 

C’est à ce moment-là que Florence Sandis, journaliste et conférencière, est venue me trouver pour que nous coécrivions le premier document sur le sujet : “Les sex addicts, quand le sexe devient une drogue dure” (2012, Hors Collection). Cela devait être un film au départ, mais nous avons préféré écrire le livre d’abord. Elle en a fait un bon documentaire en 2015.

Alors concrètement, c’est quoi l’addiction sexuelle ?

Tout d’abord, il faut rappeler que le processus addictif est considéré comme un symptôme. Par symptôme, on entendra “une manifestation dans les actes d’un trouble interne et psychologique”. Soit quelque chose que la personne ne peut pas encore dire, pas encore formuler avec des mots, et qui donc se retrouve dans le corps sous la forme … d’un symptôme !

Par conséquent, si vous pensez être “dépendant” ou “addict” ou encore plus précisément “sex addict”, c’est que vous manifestez en actions un trouble interne que vous n’arrivez pas à dire, ou à comprendre, ou parfois même à voir.

L’addiction sexuelle, vous l’aurez maintenant bien compris, est une addiction comportementale (parfois associée à l’usage de toxiques, il est vrai, mais pas toujours ). 

Elle se compose des 4 phases classiques et propres à toute addiction (voir la page addictions de mon site)

 

Ensuite c’est une addiction qui utilise l’autre comme substance addictive : l’autre, à travers son corps, est utilisé à des fins masturbatoires pour atteindre la jouissance. 

Il ne manque pas un truc ? Ah si : l’humanité de la relation ! 

Dans l’addiction sexuelle, moins on parle mieux c’est : l’autre est un objet, pas une personne. Si on se met à parler, l’excitation retombe, on remballe tout.

Bien entendu, les applis de géolocalisation ont fait flamber les cas d’addiction sexuelle. C’est le règne du fast-sex, comme on parle de fast-food. Et cela répond donc à la temporalité de la pulsion qui exige “maintenant !” et “toujours plus !”

Toujours plus, en matière de sexualité, cela peut mener à la prise de produits pour tenir la distance, cela peut aussi amener la personne vers des pratiques qu’elle n’aurait jamais pensé expérimenter un jour…

https://www.dasafrance.fr/  dépendants affectifs et sexuels anonymes

https://slaafws.org/french/  sex and love addicts anonymous